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Sire,
J’ai donné lecture au Principal Secrétaire d’Etat de la dépêche qui m’a été adressée par Mr le Chancelier de l’Empire en date du 2./14. Juin et, sur le désir énoncé par Lord Derby, je lui en ai donné copie.
Il m’a semblé que les pensées qui y étaient exprimées ont fait une bonne impression sur l’esprit du Comte qui a marqué sa satisfac tion à l’audition des mots: »En tout cas nous tenons à ce que Lord Derby considère l’exposé qui Vous est fait des vues de Sa Majesté l'Em- pereur comme étant adressé directement au Cabinet de Londres ...« Lord Derby n’interrompit cette lecture qu’une seule fois et notamment au passage: »L’efficacité de l’action diplomatique à laquelle nous nous sommes associés reposait sur l’unanimité des Cabinets. A défaut de cette unanimité, qui avait seule pu contenir les passions sur le sol de l’Orient, une explosion était à prévoir, elle ne s’est pas fait attendre«. Il objecta que la révolution se préparait depuis longtemps, qu’elle était imminente et qu’il ne pensait pas que le refus de l’Angleterre au mémo randum de Berlin ait été la cause des évènemens (sic!) qui se sont pro duits à Constantinople. »Nous nous attendions à cette révolution,« a-t-il ajouté, »mais jamais nous n’avons pensé qu’elle puisse entraîner la chute du Sultan, ni sa mort«.
Il s’agissait de connaître plus exactement le point de vue du Mini stre Anglais sur l'éventualité d’une autonomie tributaire et de conces sions territoriales au Monténégro et à la Serbie.
Je l’amenai à en parler en lui disant que l'opinion émise par le Premier Ministre, et que lui même partageait, celle que les insurgés n’aspiraient à rien moins qu’à l’indépendance et ne déposeraient les armes qu’après l’avoir conquise — avait attiré l'attention de Votre Ma jesté. Dès le début de l’insurrection, cette solution Vous avait également paru la plus propre à pacifier les Chrétiens et à leur assurer une exi stence meilleure, mais cette issue n’est désirable que si elle ressort de l'initiative du Sultan, auquel les Puissances la suggéraient et non par suite d’une conflagration générale, de l’effusion de sang et peut-être de massacres humains.
»Si vous voyez réellement les choses comme Vous le dites«, ai-je ajouté, »pourquoi donc semblez-Vous rejeter les moyens pacifiques qui pourraient amener ce résultat?«
Le Principal Secrétaire d’Etat me répondit en se retranchant der rière les principes primordiaux de la politique anglaise qui lui défendent toute ingérence dans les affaires intérieures d’un autre pays et dans les relations de Souverains à sujets. »Et puis«, me dit-il, »ce n’est pas nous mais l’Autriche qui s’opposera à cette solution et surtout en ce qui concerne les concessions territoriales au Monténégro et à la Serbie«.
Je répondis au Comte que je n’étais pas à même de connaître les pensées du Comte Andrâssy, mais qu’en étudiant le dossier diplomatique, reçu tout récemment, j’y voyais que le Ministre des Affaires Etrangères d'Autriche-Hongrie avait eu à deux reprises des entretiens avec des délégués monténégrins, qu’il avait exhorté le Prince Nicolas à seconder les efforts des grandes Puissances et qu'il avait terminé ses pourparlers en promettant au Prince de prendre ses voeux en considération s'il ju stifiait par sa conduite le bon vouloir des grandes Puissances.
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