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23, l'armée fut sous les armes au point du jour. L'ennemi
resta tranquille jusqu'à onze heures. On aperçut
la cavalerie d'Achmet se mouvoir et se diriger de notre côté.
Le général n'attendit pas qu'elle vînt trop
près ; il partit avec le 3° chasseurs, le 2e ou 17e
léger ; l'attaque fut si sérieuse que toutes les
troupes, excepté le bataillon d'Afrique qui nous gardait
du côté de la ville, reçurent l'ordre de
marcher. Le combat dura toute la journée, l'ennemi fut
encore repoussé de partout. Un faible convoi franchit
heureusement le Rummel. Les soldats en revenant du champ de
bataille purent recevoir une modeste ration de riz et d'eau-de-vie.
Quoique bien modeste, cette distribution reçut un favorable
accueil.
A peine rentrés, l'ordre arriva de tenter l'assaut de
la ville la nuit suivante. On s'y prépara du mieux que
l'on put.
A onze heures, le petit corps d'armée se mit en marche
dans le plus grand silence ; la ville, comme si elle avait été
instruite de ce mouvement et, certaine du succès, le
laissa arriver sans tirer un coup de fusil. Bientôt le
canon de Mansoura se fit entendre et les fusées à
la congrève dont on attendait des merveilles, glissèrent
sur les maisons comme des serpents de feu sans y produire aucun
incendie. L'effet en était pittoresque et bien curieux
pour ceux qui, comme nous, étaient simples spectateurs.
Il me semble qu'ici encore, le maréchal aurait pu savoir
que les maisons de cette ville sont construites, ou du moins,
ont, sous la couverture, une épaisse couche de terre,
qui les met à l'abri d'un incendie. Mais, dans cette
malheureuse expédition, on paraissait avoir tout ignoré
!
Le feu commença; de notre côté ; à
minuit la ville riposta avec fureur. Malgré le feu croisé
de la place, on atteignit la première porte, qui, après
des efforts inouïs, finit par céder. Mais la deuxième
porte résista et nos hommes, manquant de moyens nécessaires,
durent, après des pertes considérables, songer
à battre en retraite.
Les blessés nous arrivèrent, coup sur coup, au
nombre de cent cinquante environ presque tous avec des blessures
graves. Le commandant Richepanse y reçut quatre ou cinq
coups de feu ; pas une balle n'était sortie, je pus seulement
en extraire une, l'une d'elles resta engagée dans une
vertèbre lombaire ; après avoir traversé
le canal médullaire ; blessure mortelle. Puis, vînt
le brave et si intelligent capitaine du génie Grand auquel
un bel avenir était réservé, qui reçut
en plaçant une mine sous la porte, une balle qui lui
traversa la base du crâne. Il ne vécut que quarante-huit
heures. Rien de plus triste et de navrant comme notre ambulance
encombrée de blessés couchés dans la boue,
tous demandant avec instance, presque en pleurant, à
être pansés. Malgré le zèle et l'activité
que nous y mettions, nous ne pouvions que difficilement suffire
aux exigences. Tout le monde se mit pourtant à ma disposition
; car, outre les deux sous-aides Abeille et Compagnon, l'officier
d'administration Lartigue, et le lieutenant Cantiget, du train
des équipages, cherchaient à s'utiliser le plus
possible en nous servant d'aides. Qu'on juge des difficultés
d'un pareil service la nuit et par un temps froid; heureusement
sans pluie et par un clair de lune splendide ; mais un vent
qui éteignait à tout instant la lumière
des bougies.
Les deux attaques ayant échoué, les vivres manquant
tout à fait et les munitions de l'artillerie étant
réduites à 15 kilogrammes de poudre, le maréchal
se résigna à battre en retraite. Quelques officiers
dévoués au maréchal disaient que quatre
heures de plus devant la ville, les portes nous auraient été
ouvertes. « Les habitants, disaient-ils, avaient déjà
organisé la députation qui devait en apporter
les clefs » C'était là une erreur, comme
nous le dirons plus tard. La brigade de Rigny reçut l'ordre
d'aller joindre la colonne sur le plateau de Mansourah.
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