EPUIS
notre conquête, le Bey de Constantine nourrissait l'espoir
que nous quitterions volontairement le pays. Il espérait
que la France se trouverait satisfaite de la prise d'Alger,
de son trésor, de la chute et de l'exil du Dey. Dans
cet état psychologique et confiant, il se tint à
l'écart de tous les événements qui se passèrent
pendant les deux premières années de notre occupation,
épiant, en rusé qu'il était, la tournure
qu'ils prendraient et attendant le moment propice d'une intervention
favorable à son ambition. Car il rêvait la succession
du Dey d'Alger, au cas où nous abandonnerions forcément
ou volontairement ce pays. Dès qu'il s'aperçut
que la France était fermement décidée à
y rester, il prêta son concours à Benzémoun,
ainsi qu'à tous les chefs de la province d'Alger qui
se soulevaient sans cesse contre nous. Inutile d'ajouter combien
les sympathies d'Achmet leur étaient favorables et entretenaient
leur rébellion. Achmet ayant constamment refusé
de faire sa soumission, dés 1835, on comprit la nécessité
d'aller la lui arracher à Constantine, même par
la force. Mais Constantine était loin dans les terres
; l'accès en était très difficile et le
Bey Achmet possédait une armée avec laquelle il
fallait compter, eu égard au peu de troupes dont pouvait
disposer le gouverneur. Puis les chambres étaient mollement
disposées en faveur de notre conquête. Quelques
députés, à la parole facile, n'avaient
pas d'expressions assez énergiques pour la critiquer
et demandaient son abandon ; d'autres, non moins éloquents,
ne prévoyant aucun avenir de ce pays, demandaient l'occupation
restreinte des ports d'Alger, d'Oran et de Bône. Dans
ces conditions, le gouvernement de Juillet, qui n'en était
que le parrain, et qui ne péchait pas par son énergie,
laissait dire et ne faisait rien lui-même. Pendant que
les Chambres discutaient, que l'armée d'Afrique en était
réduite à se tenir constamment sur la défensive,
Abd-el-Kader organisait son armée, tenait tête
à nos généraux et obtenait avec eux des
arrangements toujours à son avantage. La paix avec le
général Desmichels mit le comble à notre
faiblesse et à notre condescendance, en accordant à
l'émir un port par où il pourrait se procurer
les munitions qu'il jugerait convenables. L'armée et
la population civile furent indignées de cette malheureuse
concession. Abd-el-Kader, en homme habile et prévoyant,
profita de cette faculté en faisant venir d'Espagne,
d'Angleterre, et de partout, le plus de munitions et de provisions
possibles. Il avait la conviction, comme il le disait plus tard
à M. Warnier, que la France ratifierait difficilement
le traité qui avait été tout à son
avantage. Aussi vit-on l'armée de l'émir prendre
rapidement les allures d'une armée régulière.
C'est pour en arrêter les progrès que l'expédition
de Mascara fut résolue en 1836. Le prince, duc d'Orléans,
devait en faire partie ; les Chambres et le gouvernement accordèrent,
non sans quelques débats, les moyens nécessaires
pour en assurer le succès.
Pendant ce temps, le Bey de Constantine, quoique jaloux de
la puissance d'Abd-el-Kader, voulut profiter de la diversion
qu'il opérait en attirant notre armée dans la
province d'Oran. Il essaya de soulever les tribus de la province
de Bône et de Constantine. Un personnage qui a joué
un certain rôle par la confiance qu'il avait su inspirer,
présenta su gouverneur une solution, soi-disant facile,
qui décida une expédition sur Constantine ; au
dire du colonel Yousouf, elle devait être suivie d'un
succès certain et rapide. Par les relations qu'il avait
avec quelques habitants de cette ville, il aurait appris que
le Bey était détesté; et, pour peu qu'il
fut appuyé par une faible armée, les habitants
lui ouvriraient les portes de la ville et le nommeraient avec
enthousiasme Bey, en remplacement d'Achmet. Il dut présenter
des faits bien positifs et bien évidents pour convaincre
un homme de la trempe du maréchal Clauzel. Nous n'avons
pas à entrer dans plus de détails à ce
sujet. Toujours est-il que, malgré l'opposition des Chambres,
l'expédition fut décidée, et la confiance
dans le succès était telle, que le maréchal,
ayant nommé Yousouf Bey de Constantine, in partibus,
celui-ci établit aussitôt son quartier-général
à Bône, avec le goût qui le distinguait.
Le Bey, si merveilleusement improvisé, composa splendidement
sa maison ; le tout assaisonné d'un harem et d'une musique
appropriés. Cependant un grand tiraillement existait
entre le ministre de, la guerre et le gouverneur qui ne pouvait
obtenir les moyens qu'il demandait et que le ministre lui refusait.
Enfin, de guerre lasse, confiant dans le succès, et impatient
d'aller installer le nouveau bey de son choix, le maréchal
Clauzel répondit au ministre qu'il se contentait d'une
simple autorisation et qu'il pouvait entreprendre cette expédition
avec les forces dont il disposait. Mal lui en prit, comme on
le verra plus tard. Le maréchal aurait mieux fait, pour
lui, pour l'armée et pour la France, de donner plutôt
sa démission. Mais il avait eu la faiblesse de s'en rapporter
aux simples renseignements de Yousouf et de ne pas les faire
contrôler, ce qui eut été facile, par d'autres
chefs indigènes non alliés.
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