ÉBARQUÉE
en Afrique avec ce qui lui restait de ses vieilles bandes, Hannibal
trouve sa patrie sur le penchant de sa ruine, investie de tous
côtés par les Romains et les Numides. Il accorde
à peine quelques jours de repos à ses troupes
et s’avance jusqu’à Zama, ville située
dans l’intérieur des terres, à cinq jours
de marche au sud de Carthage. Le sénat et le peuple,
revoyant en lui leur dernière espérance, mettent
fin à leurs longues divisions et le reçoivent
comme un libérateur, le laissant maître de demander
la paix et de la conclure. Ainsi, par une justice tardive, le
sort de son pays est remis dans’ ses mains; ruais les
fautes de ses concitoyens avaient rendu presque impossible tout
espoir de salut.
Telle
était la situation de Carthage au moment où Hannibal
remettait le pied sur le sol africain un peuple inconstant,
un sénat faible, un trésor épuisé,
une armée habituée à la fuite et à
la défaite, et quelques vétérans qui ne
pouvaient plus que mourir avec gloire. En vain la haine et l’orgueil
brûlaient dans les cœurs ces sentiments allaient
s’éteindre au premier revers et faire place à
un découragement absolu. Hannibal le sentait bien, et,
seul capable de faire la guerre, il était le seul qui
désirât la paix. Pour l’obtenir, il demanda
une entrevue au général romain; mais les conditions
qu’imposait Scipion lui ayant paru trop dures, il préféra
s’en remettre aux hasards d’une bataille, et les
deux généraux se quittèrent pour s’y
préparer.
Dans
cette célèbre bataille de Zama, ni le héros
carthaginois ni ses vétérans ne restèrent
au-dessous de leur renommée. Dès le premier choc,
sa cavalerie, peu aguerrie et beaucoup moins nombreuse que celle
des Romains, fut rompue et prit la fuite, laissant le centre
découvert et affaibli par le désordre qu’elle
y portait. La vieille infanterie d’Hannibal présenta
la pique aux fuyards, et les força de s’écouler
par les flancs ; elle rétablit ainsi le combat, et tint
seule la victoire en suspens jusqu’au moment où,
chargée en flanc et en queue par la cavalerie romaine,
il ne lui resta plus qu’à mourir. Les éléphants,
de leur côté, tirent bonne contenance; on voyait
ces intrépides animaux, excités par les traits
et les javelots qui leur étaient lancés de toutes
parts, se précipiter au plus fort de la mêlée
et enlever des soldats avec leurs trompes; mais leur courage
fut inutile. Les Romains ne se laissèrent pas effrayer
par leurs masses; ils les évitaient avec adresse, et
ne s’arrêtèrent que lorsque le succès
de la journée fut assuré. Vingt mille Carthaginois
restèrent sur le champ de bataille, vingt mille furent
faits prisonniers; les Romains ne perdirent que deux mille hommes.
(203 ans avant J.-C.)
Après
ce désastre, Hannibal s’était retiré
à Hadrumète suivi de quelques cavaliers seulement;
mais l’anxiété de ses concitoyens ne le
laissa pas longtemps dans cette retraite. Mandé par le
sénat et par le peuple, il obéit à ces
ordres, et rentra dans Carthage après vingt-cinq ans
d’absence. De toutes parts on se pressait autour de lui
pour l’interroger, pour savoir ce qu’il y avait
à craindre, ce qu’il y avait à espérer.
En présence de cet affaissement si profond de sa patrie,
Hannibal n’hésita pas à déclarer
que tout était perdu, et proposa, comme une triste mais
indispensable nécessité, de se soumettre aux conditions
du vainqueur. Après de violents débats, le sénat
tout entier se rendit à son avis ( Hannibal devint suffète
de Carthage; mais bientôt, poursuivi par la haine de ses
Concitoyens, il se retira auprès d’Antiochus, roi
de Syrie, ensuite chez Prousias, roi de Bithynie, qu’il
arma contre les Romains. Mais enfin, craignant ensuite d’être
livré par ce prince à ses ennemis, il s’empoisonna.
(183 ans avant J.-C.).
Les
conditions du traité furent telles qu’on devait
les attendre du génie de Rome: ce fut la mise en pratique
de ce mot célèbre, malheur aux vaincus ! Les Carthaginois
furent obligés de rendre les prisonniers de guerre et
les transfuges, d’abandonner aux Romains tous leurs vaisseaux
longs, à l’exception de dix galères, et
leurs nombreux éléphants. Il leur fut défendu
d’entreprendre aucune guerre sans la permission du peuple
romain; ils rendirent à son allié Massinissa toutes
les terres et les villes qui avaient appartenu à lui
ou à ses ancêtres; ils fournirent des vivres à
l’armée pendant trois mois, et payèrent
sa solde jusqu’à ce qu’on eût reçu
de Rome la réponse aux articles du traité, qui
y fut envoyé pour recevoir la sanction du sénat.
Enfin, ils s’engagèrent à payer dix mille
talents dans l’espace de cinquante années, et pour
garantie de leur fidélité ils livrèrent
cent otages choisis parmi les jeunes gens des premières
familles. Tout fut accepté par les vaincus, et bientôt
l’armée romaine se disposa à retourner en
Italie. Mais avant de partir elle brûla les vaisseaux
qui lui avaient été livrés, au nombre d’environ
cinq cents. Les flammes de ce lugubre incendie, qu’on
apercevait de Carthage, furent comme le prélude de celles
qui, cinquante ans plus tard, devaient la dévorer elle-même.
Ainsi
se termina la seconde guerre punique, l’an 551 de Rome,
201 ans avant Jésus-Christ. Elle avait duré dix-sept
ans.

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