EPUIS plusieurs siècles des colonies grecques avaient été jetées suries rivages d’Afrique; mais, vers 675 avant J.-C., une expédition de Doriens expulsés de leur patrie aborda en Libye. Après avoir erré quelque temps, ils finirent par s’établir sur cette partie du littoral comprise aujourd’hui, sous le nom de Barka, dans la régence de Tripoli, et y fondèrent la ville de Cyrène. En 631, les Cyrénéens reçurent de la mère patrie de nouveaux renforts; ils firent alors la guerre aux indigènes; ils conquirent des villes et étendirent au loin leurs relations commerciales. De succès en succès, Cyrène poussa l’audace jusqu’à entrer en lutte avec les satrapes d’Égypte. Ce développement de forces et de prospérité ne tarda pas à exciter la jalousie de Carthage; les vieilles antipathies nationales se réveillèrent; en effet, par son origine et par ses souvenirs, Carthage se rattachait à ces races sémitiques dont l’inimitié permanente contre la race hellénique fut attestée par une lutte de plusieurs siècles sur le double littoral de la Grèce et de l’Asie.

Mais Cyrène au midi, Marseille au nord, étaient alors trop florissantes pour se laisser intimider par des démonstrations hostiles ; Carthage ne s’opiniâtra pas contre ces deux cités; elle porta toutes ses forces contre la Sicile, base d’opération admirablement choisie, car la Sicile était à la fois le point central de la Méditerranée et des colonies grecques d’Occident. Pour cette expédition, Carthage s’épuisa en immenses préparatifs qui ne durèrent pas moins de trois ans. Suivant des récits évidemment exagérés, quatre cent mille hommes furent embarqués sur deux mille galères et trois mille bâtiments de charge, avec un matériel proportionné à ce prodigieux armement. On sait quelle fut l’issue de cette lutte à jamais célèbre assaillies à la fois et ne pouvant se porter secours, la Grèce et la Sicile suffirent chacune à leur défense; et le jour même où l’innombrable armée de Xerxès se brisait aux Thermopyles contre l’héroïsme de Léonidas, l’armée carthaginoise perdait en Sicile une grande bataille, à la suite de laquelle ses débris regagnèrent péniblement l’Afrique. Carthage vaincue demanda la paix, et l’obtint à des conditions qui montrent toute la supériorité du vainqueur: le héros de Syracuse, Gélon, stipula dans le traité l’abolition (les sacrifices humains, qui constituaient l’une des cérémonies principales du culte chez les Phéniciens.

En souscrivant à cette paix, les Carthaginois ne voulaient que reprendre haleine, et réparer leurs pertes; car ils n’avaient pas renoncé à l’espoir de conquérir la Sicile. En effet, saisissant une occasion favorable pour recommencer la guerre, on les voit pénétrer de nouveau dans cette île et la ravager; puis, profitant de l’épouvante que cette expédition a jetée, ils forment après plusieurs victoires successives des établissements permanents à Agrigente, à Himère, à Géra, à Camarine; enfin toutes les contrées habitées par les Sicaniens leur furent cédées par un traité qui partageait presque en parties égales la Sicile entre Syracuse et Carthage. Cette cession, au lieu de satisfaire les Carthaginois, excita encore leur cupidité, et la guerre se renouvela bientôt, mais sans succès décisif de part et d’autre, jusqu’au moment où les Romains, qui avaient grandi durant cette lutte de deux siècles, vinrent y prendre part et la terminer à leur profit.