A chronologie la plus probable place vers l’an 860 avant J. - C. la fondation de Carthage ; c’est alors que Didon, fille de Bélus, fuyant la tyrannie de Pygmalion son frère, roi de Tyr, qui venait de faire mourir son mari pour s’emparer de ses richesses, aborda en Afrique. La tradition a consacré le singulier stratagème qu’employa cette princesse pour obtenir l’hospitalité des indigènes, elle ne. demandait qu’une petite portion de terre, ce que pourrait enceindre la peau d’un bœuf; et pour prix d’un si faible service, elle offrait des sommés considérables. Cette peau, découpée en lanières très minces, finit par circonscrire un très grand espace, sur lequel s’éleva bientôt une imposante forteresse, Byrsa, qui commandait les environs ainsi qu’une rade immense’. Iarbas, chef des Maxyes et des Gétules, qui avait fait cette concession, frappé de la beauté de Didon, séduit aussi par ses richesses, voulut l’épouser; mais cette fière princesse dédaigna la main du Barbare, et se donna la mort pour se soustraire à ses obsessions.

Après cette catastrophe, l’histoire reste muette pendant trois siècles. La littérature de Carthage, on le sait, a péri tout entière, et nous ne connaissons les Carthaginois que par les récits de leurs ennemis. Lors de la destruction de cette ville (146 ans avant J.-C.), on y trouva des livres qui contenaient ses annales; mais, dans leur orgueil national, les Romains, peu soucieux des origines étrangères, abandonnèrent ces chroniques Micipsa, roi des Numides. Par succession, elles parvinrent à Hempsal II, qui régnait sur la Numidie 105 ans avant J.-C. huit ans après, Salluste, envoyé comme gouverneur en Afrique, se les fit expliquer et en tira quelques documents pour la description de cette contrée qui précède sa Guerre de Jugurtha. Mais ce travail est resté fort incomplet, et l’indifférence de l’auteur nous a privés d’une foule de renseignements historiques qui seraient pour nous d’un grand prix. Tout ce que nous savons des premières époques de la colonie phénicienne, c’est que, située sur un emplacement favorable, et protégée par la forteresse de Byrsa, Carthage grandit avec rapidité, et que son gouvernement, monarchique d’abord, se transforma en république sans qu’on puisse déterminer d’une manière précise l’époque et les causes de ce changement. Grâce à la sagesse des fondateurs, cette modification apportée dans leur organisation politique n’arrêta pas un seul instant le cours de leurs succès. En effet, Aristote remarque que jusqu’à son temps, c’est-à-dire, pendant un espace de cinq cents ans, il n’y avait eu, dans cette république, ni révolution ni tyran.

Le gouvernement de Carthage était divisé entre les suffètes (sophetim), magistrats suprêmes que le peuple élisait chaque année, et le sénat, choisi dans le sein d’une nombreuse et puissante aristocratie. On y ajouta par la suite, probablement pour réprimer les tentatives de tyrannie, le redoutable tribunal des Cent, spécialement chargé de surveiller les opérations militaires. L’autorité du sénat de Carthage était aussi étendue que celle du sénat romain. C’était dans son sein que se traitaient toutes les affaires d’état; c’était lui qui donnait audience aux ambassadeurs, qui envoyait des ordres aux généraux, qui décidait de la paix et de la guerre. Lorsque les voix étaient unanimes sur une question, elle était irrévocablement résolue; une seule voix dissidente la faisait déférer à l’assemblée du peuple. Pendant longtemps l’autorité du sénat eut toute la prépondérance; mais le peuple, comme à Rome, éleva successivement ses prétentions et finit par s’emparer de la plus grande partie du pouvoir. Les Magon, les Hannon, Ces représentants du génie commercial et de la politique extérieure de Carthage, étaient les hommes de l’aristocratie ; les Hamilcar, les Hannibal, ces guerriers illustres qui balancèrent longtemps la fortune de Rome, étaient l’expression du parti populaire.

On sait que le commerce faisait la principale base de la puissance de Carthage les officiers publics, les généraux, les magistrats, s’occupaient de négoce. « Ils allaient partout, dit Rollin, acheter le moins cher possible le « superflu de chaque nation pour le convertir, envers les autres, en un nécessaire qu’ils leur vendaient très chèrement. Ils tiraient de l’Égypte le lin, le papier, le blé, les voiles et les câbles pour les vaisseaux; des côtes de la mer Rouge, les épiceries, l’encens, les parfums, l’or, les perles et les pierres précieuses; de Tyr et de Phénicie, la pourpre et l’écarlate, les riches étoffes, les meubles somptueux, les tapisseries et tous les ouvrages d’un travail recherché; ils donnaient en échange le fer, l’étain, le plomb et le cuivre, qu’ils tiraient de la Numidie, de la Mauritanie et de l’Espagne. » Ils allaient aussi chercher l’ambre dans la Baltique, et la poudre d’or sur les côtes de Guinée. Pour assurer cet immense commerce et abriter ses flottes, Carthage fut obligée de devenir puissance militaire et conquérante; on sait tout ce qu’elle déploya de persévérance, de courage et d’habileté pour réaliser ses projets; aussi ne ferons-nous ici qu’indiquer ce mouvement. La domination de Carthage s’étendit rapidement sur tout le littoral de l’Afrique occidentale, depuis la petite Syrte (golfe de Cabès) jusqu’au delà des colonnes d’Hercule. Elle prit ensuite l’Europe à revers, et toutes les côtes méridionales de l’Espagne, jusqu’aux Pyrénées, furent soumises par ses armes, son commerce ou sa politique : la Sardaigne, la Corse, les îles Baléares subirent le même sort. Tant qu’elle n’eut à dompter que des peuplades belliqueuses, mais isolées, ou tout au plus groupées en fédérations faciles à dissoudre, ou en petits royaumes hostiles les uns aux autres, tout céda au génie de Carthage. Ses succès devinrent moins faciles lorsqu’aux deux extrémités de son empire, se heurtant contre une civilisation matériellement égale, moralement supérieure à la sienne, elle rencontra des colonies grecques sur les plages de la grande Syrte et sur celles de la Gaule.