UOIQUE
la réputation d’une haute fertilité appartienne
spécialement à l'Africa propria des anciens ou
à l’état actuel de Tunis, on peut encore
à bon droit la revendiquer pour l’Algérie.
Strabon et Pline célébraient de leur temps la
fertilité des régions de l’Atlas, car autrefois
comme aujourd’hui, la végétation y déployait
une vigueur et une magnificence extrêmes. Citons à
cet égard une autorité récente, qui est
d’un grand poids en semblable matière, le général
Bugeaud . “ Dans les courtes apparitions que je fis en
Algérie en 1836 et 1837, je conçus, dit-il, une
idée peu avantageuse de la fertilité du sol africain,
tant vantée par l’antiquité. N’ayant
parcouru que la plus maigre partie de la province d’Oran,
je pensais que les historiens romains avaient fait de l’hyperbole,
en disant que l’Afrique était le grenier de Rome;
mais depuis que j’ai pénétré le pays
dans presque toutes les directions, mes convictions ont changé,
et j’ai reconnu que l’Algérie produit déjà
beaucoup de grains, une immense quantité de bétail.,
et qu’elle est susceptible d’en produire encore
bien davantage, et d’y joindre plusieurs autres richesses,
telles que l’huile et la soie. Nous avons traversé
plusieurs fois, l’année dernière, et cette
année, les plaines de l’Hâbra, de l’Illil,
de la Mina, du Chélif, d’Eghris, le pays des Beni-Amer,
celui des Flittas, grand nombre d’autres vallées,
et nous avons vu partout d’abondantes cultures en orge
et en froment Suivant Pline, l’intendant de l’empereur
Auguste aurait envoyé à ce prince un pied de froment
venu dans la Byzacène, régence de Tunis, d’où
sortaient près de quatre cents tiges, toutes provenant
d’un seul grain. L’intendant de Néron lui
envoya de même trois cent soixante tiges de froment, produites
par un seul grain de blé. Shaw et Desfontaines rapportent
des faits analogues; le général Bugeaud dit qu’un
hectare produit 25 à 30 hectolitres de froment, et 40
à 50 d’orge. — Au reste, pour tout ce qui
concerne l’économie agricole de l’Algérie,
dans les temps anciens et modernes, on pourra consulter avec
fruit l’excellent ouvrage de M. Aristide Guilbert, intitulé:
De la colonisation du nord de l’Afrique; ouvrage indispensable
à tous ceux qui voudront avoir une idée complète
des ressources de l’Algérie). Les montagnes, recouvertes
en général d’une couche profonde d’excellente
terre, ne sont pas moins riches que les plaines. Si les cultures
y sont moins étendues, plus morcelées, elles sont
ordinairement plus belles.
La
spontanéité est un des caractères les plus
frappants de cette puissante nature: les arbres de l’Europe
et de l’Amérique, transplantés sur le sol
africain, y viennent et s’y propagent sans culture, comme
les productions indigènes. Parmi le grand nombre de végétaux
qui croissent naturellement en Algérie, nous citerons
d’abord les lentisques, les palmiers chamérops,
les arbousiers, les genêts épineux, les agaves,
les myrtes, les lauriers-roses. Sous la forme de hautes broussailles,
ils envahissent quelquefois la plaine, et presque toujours le
versant des montagnes et des collines du littoral. Les grandes
chaînes de l’Atlas et leurs nombreux contreforts
se revêtent, vers la région supérieure,
de masses de lièges, de chênes aux glands doux
que les Arabes mangent comme des châtaignes, de peupliers
blancs et de genévriers de Phénicie, au milieu
desquels on voit se dessiner, çà et là,
les cônes verdoyants du pin de Jérusalem. L’olivier,
la vigne, le noyer, le jujubier, l’oranger amer, le citronnier,
le grenadier, les cactus et l’absinthe, sont au nombre
des productions naturelles du sol; ils croissent sur les montagnes,
dans les vallées, dans les champs, et se mêlent
au tissu des haies, aux fourrés des broussailles, et
aux taillis des bois. L’oranger et le citronnier, parés
de leurs fleurs et de leurs fruits presque éternels,
répandent un parfum délicieux. A une élévation
de six cents mètres, sur le versant septentrional de
l’Atlas, on les aperçoit encore mêlés
aux cactus et aux agaves; du côté du sud, on trouve
le figuier jusqu’à une hauteur de quatorze cents
mètres. Le dattier vient aussi sur les collines et dans
les vallées; souvent sa tige, remplaçant le palmier,
s’élève comme une colonnette auprès
du tombeau des marabouts; mais ses fruits, par la négligence
des Arabes, plutôt que par le défaut de chaleur,
ne mûrissent bien que vers le sud et dans l’immense
contrée de Biledulgérid (pays des palmiers).
En
Algérie, la nature ne s’arrête pas un seul
instant dans le grand œuvre de la production; elle parcourt,
pour ainsi dire, un cercle perpétuel d’enfantements,
depuis les premiers jours du printemps jusqu’aux derniers
jours de l’hiver. Au mois de janvier, les arbres commencent
a se parer de nouvelles feuilles; le blé, l’orge,
le sainfoin et la luzerne couvrent les champs d’une belle
verdure et d’abondants pâturages; les pommiers,
les citronniers, les orangers à chaude exposition, les
amandiers, les guigniers sont en fleurs; et bientôt après
on récolte dans les jardins potagers, des fraises, des
petits pois, des asperges et toutes sortes de légumes.
En février, s’épanouit la fleur de l’abricotier,
du cerisier; le figuier fleurit en mars, le grenadier et le
myrte en avril, et la vigne en mai. Quelques arbres sont chargés
de fleurs et de fruits pendant toute l’année.
Sous
l’influence du soleil d’Afrique, presque tous les
végétaux acquièrent d’énormes
proportions le ricin, faible arbrisseau en Europe, devient presque
un arbre en Algérie; le fenouil, les carottes, et quelques
autres ombellifères, prennent un développement
gigantesque; les panais projettent, parfois, des pousses qui
ont jusqu’à trois mètres de hauteur; les
coings ressemblent à de petites citrouilles; les choux-fleurs
y acquièrent jusqu’à trois pieds de dia
mètre; et les tiges de mauves ressemblent à des
arbrisseaux. Les plantes fourragères atteignent, sans
culture, une hauteur à peine croyable; et parfois on
voit les cavaliers disparaître dans leurs fourrés,
comme les gauchos au milieu des pampas de Buenos-Aires.
Dans
toutes les saisons, des fleurs sauvages tempèrent par
le charme de leurs formes et la variété de leurs
couleurs, l’éclat quelque peu sévère
de la nature africaine. Une multitude d’arbres odoriférants,
les myrtes, les garous, la lavande, l’épine-vinette,
couvrent les campagnes et parfument l’air des plus suaves
émanations. Sur le vert plus ou moins foncé des
broussailles, des taillis et des haies, les fleurs des cactus,
des grenadiers et des rosiers sauvages se détachent comme
de brillantes astérisques, et partout le laurier-rose
forme sur les bords des rivières et des ruisseaux une
lisière empourprée qui marque les sinuosités
de leur cours. Pendant l’hiver, au lieu d’une nappe
de neige à la teinte uniforme, on voit s’étendre
sur les coteaux de riches tapis de tulipes, de renoncules, d’anémones,
etc. Le printemps amène les ornithogales, les asphodèles,
les iris et le lupin jaune; avec l’automne paraissent
la grande scille et une multitude de petites fleurs de la même
famille.
L’Algérie
n’est pas aussi déboisée qu’on l’avait
d’abord supposé. Depuis quelques années,
les côtes, soigneusement explorées par nos navigateurs,
leur ont paru presque partout couvertes de bois considérables;
ceux de Mazafran, entre Coléah et Alger, d’el Mascra,
entre la plaine de Ceirat et Mostaganem, de la Stidia ou la
Macta, entre Mazagran et l’embouchure de l’Habrah,
et enfin ceux des terres de l’Oued-el-Akral et de l’Oued-Nougha,
méritent d’être distingués pour l’étendue,
la beauté et la vigueur des taillis. La vallée
du Chélif est aussi très riche en bois de diverses
essences et d’une grande vigueur. On cite encore la forêt
de Muley-Ismaïl et d’Emsila, dans la province d’Oran,
comme de puissantes et fécondes agglomérations
d’arbres. Les forêts situées entre Bouja
et le Cap de Fer et sur la route de Bône, dans le territoire
de Djib-Allah, ne sont pas moins remarquables. Près du
territoire de la mer, au-delà des collines de la Calle,
s’étendent plus de 20 000 hectares de belles forêts
coupées de lacs et de prairies. Les essences qui se trouvent
en plus grande abondance dans les régions forestières
de l’Afrique septentrionale, sont le chêne vert,
l’olivier, l’orme, le frêne, le chêne-liège,
l’aulne, le pin et le thuya articulata (“ L’Algérie,
dit le général Bugeaud, possède des forêts
riches on chênes-lièges qui manquent l’Europe,
et en arbres d’essences diverses, propres a tous les usages.
Les forêts dont l’existence a été
constatée soit par l’armée dans ses expéditions,
soit par la commission scientifique, soit par les agents forestiers
comprennent au minimum une étendue de plus de soixante-dix
mille hectares " (Des Moyens de conserver et d’utiliser
l’Algérie, 1842.) — “ Je pense, disait
M. Amauton, inspecteur général des eaux et forêts
en Algérie, après avoir visité les environs
de la Calle, que ce quartier pourrait fournir assez de liège
pour la consommation de toute l’Europe. Je suis certain
aussi que la marine y trouverait beaucoup de bois courbes pour
membrures de bâtiments; j’ai mesuré des arbres
ayant les uns 2,50 mètres, et les autres 3,70 mètres
de circonférence.”).

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