Chapitre VI : Le XVIIIème Siècle

 

Une conspiration rouergate contre l'absolutisme royal

La suppression de la liberté de conscience, les dragonnades et les abjurations imposées aux calvinistes constituaient avec les écrasantes charges fiscales, les motifs les plus évidents d'un mouvement de révolte, contre le pouvoir absolu exerçé par Louis XIV.
Or,les Cévennes centrales, qui avaient été la zone la plus touchée par la répression, étaient alors si bien quadrillées par les troupes royales, que toute opération y aurait été vouée à l'échec, et c'est, paradoxalement, un membre du clergé : le marquis Antoine de Guiscard, appelé plus communément La Bourlie, seigneur de Vareilles, et précédemment abbé commandataire de Bonnecombe, qui s'efforça de coordonner une insurrection qui devait aboutir à la fois à la prise de Rodez et au soulèvement des " nouveaux convertis " nombreux dans le Rouergue méridional et le Castrais voisin, avec, pour objectif, la prise en otage de l'évêque de Castres.
Déjà, dans un manifeste du 8 Mars 1703, ce personnage revendiquait : " Liberté, Liberté, demandons hautement des Etats généraux libres et tels qu'ils étaient autrefois " ( 124 ).

Il avait également prit contact avec plusieurs camisards et en particulier, des proches de Cavalier : un de ses lieutenants originaire du Cayla : Abdias Maurel, surnommé Catinat, Laurent Boëton, replié à St Affrique où ce dernier pensait recruter des " nouveaux convertis ", Tobie Rocayrol, né à Roquecourbe et ayant, de ce fait, des relations avec le pays castrais, le ministre Daires et un nommé Perrot.
Pratiquant le double jeu, La Bourlie s'était aussi lié, d'amitié avec le vicomte Thézan du Poujol, seigneur de Nages et lieutenant du roi dans le haut Rouergue, en vue d'être mieux informé sur les mesures de protection prises dans son futur champ d'action.

L'escarmouche du Merdelou

" Le sieur de Cordes avait averti le 10 Mai 1703 que 500 camisards avaient essayé , à nouveau, de pénétrer dans le Rouergue, à coté de Lanuéjols entre Meyrueis et Trèves ( 125 ).
" L'intendant Legendre se rendit le 13 Septembre à St Affrique, où il fit arrèter et emprisonner un gentilhomme - suspect et de mauvaise réputation- le sieur Camporiés, qui, selon certaine déposition, avait été ou était toujours un ami intime de La Bourlie"
( 126 ).

(Pour nous, ce Camporiés pourrait bien être un fils ou petit fils de noble Jean de Barrau, seigneur de Campouries,habitant Brusque en 1641.)

" Le 17 Septembre, Bance, le subdélégué de Millau fit savoir à l'intendant Legendre qu'il y avait quelques désordres dans la région de Camarès. Il alla coucher dans cette localité, pour mieux s'en informer et apprit là, que dans la nuit du Samedi ll au dimanche 12, 400 camisards environ, seraient entrés dans cette élection, après en avoir forçé le passage et qu'ils auraient incendié 5 maisons et une grange, dans le petit village deTeryières ?, hameau qui dépendait de la communauté de Belmont, dans les environs de Lacaune " ( 127 ) - Lire, sans doute, Verrières.
Dans la nuit du 16 au 17 Septembre, les camisards avaient mis le feu à l'église de St Pierre d'Issis, près de Camarès, Bance alla aussitôt sur place et dressa un procès-verbal des dégats. Il prévint le sieur de Sourdis, officier, et avertit les 4 compagnies qui se trouvaient à St Jean du Bruel et à Sauclières, leur demandant de se porter sans aucun retard, à marches forcées, vers Camarès, après avoir couché à Cornus, qui était à moitié chemin.

Le 19 Septembre, Legendre, par des messages de l'évêque de Castres et de Baville apprit que 6 officiers étrangers, dont on leur avait donné le signalement, étaient passés dans sa généralité du côté de Millau, de St Affrique et de Pont de Camarès, pour engager les nouveaux convertis à se soulever et à se joindre aux attroupés....( 128 ).
Le 20, des camisards pénètrent à Lacaze,au nombre de trente-huit - quatre à cheval et trente quatre à pied. On reconnut parmi eux plusieurs personnes du pays (de Montazel, de Berlats, de La Béssède, de Lacaune et le fils d'un bourgeois : Sabatier, habitant de Brusque, riche de 50.000 £) ( 129 ).

Dans la nuit du 26 Septembre, des agents observateurs avaient remarqué que leur troupe assez réduite se réfugiait souvent dans les bois de Merdelou, qui se trouvaient à la limite du Rouergue et du Haut-Languedoc Ces espions qui avaient étroitement surveillé leurs marches, en avisèrent le subdélégué Barbara ; le sieur de Naves - gentilhomme d'un mérite et d'un zèle distingué - et le vicomte du Pujol, lieutenant du Roi dans le haut-Rouergue,à la tête de plusieurs membres de la noblesse escortés par le colonel de Cordes, d'une partie de son régiment et de quelques compagnies de milices, cernèrent ces bois au milieu de la nuit.
Les rebelles s'y trouvaient au nombre d'environ quatre-vingt. Surpris, ils se défendirent désespérement, mais cédèrent sous le nombre. Profitant de l'obscurité et des fourrés impénétrables, la plupart d'entre eux s'échappèrent après avoir tué 2 soldats des milices et en avoir blessé 2 autres ; 2 camisards tombèrent sous les balles, mortellement atteints. Plusieurs furent capturés, dont 4 étaient originaires de la région castraise : 3 de Vabre et un autre de Castelnau de Brassac. Ils furent conduits et jugés à Castres ; déclarés complices des incendiaires de l'église de LaCaze ; ils furent condamnés à mort : l'un fut pendu et brûlé à Castres, en présence de sa mère, son frère fut pendu à Viane et la mère fouettée et marquée au fer rouge sur l'épaule de la fleur de lys, le 29 Octobre ( 130 ).
Deux autres furent transportés à St Affrique. L'intendant Legendre, bien qu'assez malade à cette date (la fièvre ne le quittait pas) dirigea lui-même la procèdure de leur jugement. Comme ce sont les 2 premiers de cette généralité qui ont pris les armes contre le roy, écrit-il, de Millau à Chamillard, le 30 Septembre, dont il y en a des principaux de Camarès et des plus dangereux,il est bon d'en faire un exemple.

Leur interrogatoire révèle beaucoup de détails sur leur organisation et leurs projets. Ils furent pendus et brûlés ; l'un d'eux était un notable du bourg de Camarès. Il y aurait eu un autre prisonnier dont on ignore le nom, qui aurait été condamné aux galères perpétuelles ( 131).
Ils déclarèrent qu'ils n'étaient qu'une cinquantaine, la plupart natifs du Rouergue, les autres du diocèse de Castres et qu'ils n'avaient avec eux ni prédicants, ni pasteurs ; les quatre étrangers commandaient à tout de rôle. Ils ne parcouraient ce pays qu'avec le dessein d'exciter les gens ; leurs chefs leur avaient dit qu'ils comptaient beaucoup plus sur les gens du Pont de Camarès que sur ceux des environs de Castres et que si ils ne trouvaient pas de partisans, ils s'en retourneraient dans les Cévennes. Le prétexte de leur incursion était le rétablissement des temples
( 132 ).

Une autre version de cette échauffourée

" Nous Jean-François Bancarel soussigné,bachelier en ste théologie, curé de l'église St Paul de Traversac du Pont de Camarès et doyen rural du district dudit Pont de Camarès au diocèse de Vabres, élection de Millau, généralité de Montauban certifions que le château de Falgous, paroisse du Pont de Camarès, éloigné du Pont de Camarès d'une lieue environ, située en pays de montagne, possédé par le sieur Jean de Valette, nouveau converti, a servi de retraite et de refuge aux mal intentionnés, qui roulaient ci-devant dans ces cantons, pour débaucher les nouveaux convertis en les portant à faire des assemblées.

C'est un point de fait qui éclata publiquement au mois de Septembre 1703.
Quatre phanatiques envoyés de Sévènes y ayant fait plusieurs assemblées avec tant de succès sur les esprits faibles que la nuit du 16 au 17 Septembre de la dite année les nouveaux convertis du Pont de Camarès ayant pris les armes avec ceux de villes et villages voisins, ayant à laur tête pour chefs les quatre envoyés de Sévennes, l'un desquels phanatisait, avec deux garçons dudit sieur de Falgous, furent brûler l'église de St Pierre d'Issis, distante dudit Pont d'un quart de lieue, l'église de St Vincent de Lacalm, avec la maison du sieur prieur après l'avoir pillée, et le lendemain St Pierre de la Bessière au diocèse de Castres.
Cette troupe de brûleurs pressés dans le diocèse de Castres rentrèrent en Rouergue le 26è dudit mois et se réfugièrent dans le bois de Merdelou, distant dudit Falgous d'une demi-lieue où ils entrèrent sur six heures du matin.

Les milices bourgeoises de l'une et de l'autre province y ayant accouru, ils y furent investis ; on fit plusieurs prisonniers et entre autres le nommé Jean de Valette, fils ainé du sieur de Falgous, âgé d'environ trente-cinq ans, qui fut conduit avec deux autres jeunes hommes du Pont de Camarès en la ville de Millau, où ils furent jugés par M.Legendre intendant et ensuite ramenés au dit Pont de Camarès le 6 Octobre dudit an où ils furent pendus et brûlés ledit jour.

Un exemple de cet éclat ne fut pas capable de contenir dans son devoir le dit sieur de Falgous, ni sa famille composée encore de deux garçons et de cinq filles.
L'année suivante, au commencement de Juin, étant venu à notre connaissance que de temps en temps de nouveaux convertis du Pont de Camarès et du voisinage paraissaient autour du château du sieur de Falgous et que la nommée Anne de Valette, fille du sieur de Falgous, âgée d'environ vingt-cinq ans phanatisait dedans et en dehors le château, y aurions veillé de si près que nous l'aurions faite surprendre sur le fait, de quoi ayant donné incessament avis à Mr Legendre, intendant, qui connaissait le génie dudit sieur de Falgous et de sa famille pour prévenir de nouveaux désordres ordonna que le sieur de Falgous et toute sa famille seraient constitués prisonniers et conduits en la ville de Montauban,
Ce qui fut exécuté par le sieur Bance son subdélégué, qui ensuite vint au village de Falgous faire une procèdure sur les faits ci-dessus mentionnés, qui furent si clairement prouvés qu'on trouvait nécessaire de faire raser le château,. mais espérant d'amendement, on fit seulement murer portes et fenêtres pour le rendre impraticable.

Après trois ans de prison, le sieur de Falgous étant décédé ab intestat, Anne de Valette, son épouse, Guillaume, Jeanne, Marie, Anne-Marguerite et Rose ses enfants et successeurs vendirent cette petite terre hypothéquée à plusieurs créanciers qui allaient la faire décrèter au sieur Bernard Dalengrin, ancien catholique, créancier sur le dit bien, qui l'acheta en partie à la sollicitation et persuasion des anciens catholiques, lequel sieur Dalengrin ou son fils y ont fait des réparations très considérables, même fait bâtir une chapelle dans la cour, fondée et dotée.
Tout considéré il paraît du bien de la religion, de l'intérêt de l'Etat, de la tranquillité publique que ce lieu soit habité par d'anciens catholiques, non par des personnes suspectes, puisque depuis ce changement de main, il ne nous est point revenu qu'il se soit fait d'assemblée, ni autre chose contre le service du Roi, en témoignage de quoi avons signé le présent au Pont,

Bancarel, Curé et doyen rural de St Paul de Traversac. " ( 133 )

Conséquences et sanctions de l'opération du Merdelou

" Malgré la retraite de Catinat tout n'était pas terminé.Un autre agitateur, presqu'au même moment entrait en scène : Laurent Boéton. Ce personnage, bien que La Bourlie ne l'ait jamais nommé dans ses Mémoires, aurait été en relation avec les camisards, mais surtout avec Guiscard.
Boéton avait fixé rendez-vous à Catinat auquel il devait amener, au moment propice,le contingent rouergat et des partisans de La Bourlie.Catinat, en précipitant les évènements et en agissant de son côté prématurément avait désorganisé leur plan et rendu caduque leur agression simultanée.

Les exécutions capitales à Castres, à Viane et à Millau firent une vive et profonde impression sur les populations du Haut Languedoc et du Rouergue. Les consuls de St-Affrique et de Camarès, effrayés, allèrent trouver le 5 Octobre l'intendant Legendre à Millau pour le supplier d'obtenir du roi le pardon de quelques habitants qui avaient pris parti pour les camisards.
Pour obtenir cette grâce, ils promirent d'apporter leurs armes le lendemain. "

Arrivé sur les lieux, Legendre fit preuve d'une mansuétude peu commune quoique assez habituelle chez lui. Il se contenta de faire pendre leur chef, petit noble du Pont de Camarès : Audric du Rounet " ( 134 ).
" L'intendant se rendit ensuite à Camarès - la ville, dit-il, la plus suspecte de toute la généralité, où il y avait le plus de nouveaux convertis. Legendre vit s'avancer vers lui 50 habitants au moins, parmi lesquels se trouvait le frère de celui qui avait été pendu la veille et qui était un chef de parti et une espèce de gentilhomme ayant fief et château à la porte de la ville ; il y aurait même eu des notables et de riches bourgeois, qui seraient venus lui demander grâce en apportant des armes. " ( 135 )

" Le ministre Dayre fut arrêté près de Camarès, transporté à Montpellier, il y subit le supplice de la roue avec un invincible courage " ( 136 ).

 

 

 

Notes bibliographiques
( 124 ) Bulletin d'histoire du protestantisme, 10465
( 125 ) Service historique de l'Armée de Terre vol 1701 folio 148/190
( 126 ) Service historique de l'Armée de Terre vol 1802 folio 243
( 127 ) Service historique de l'Armée de Terre vol 1708 folio 111
( 128 ) Service historique de l'Armée de Terre vol 1701 folio 151 ou 161
( 129 ) H. Bosc, La guerre des Cévennes, p. 302
( 130 ) C. Rabaud, Histoire duprotestantisme en Albigeois, t. 2, p. 129
( 131 ) Service historique de l'Armée de Terre vol 1701 folio 163
( 132 ) Service historique de l'Armée de Terre vol 1708 folio 144, vol 1709 folio 303
( 133 ) AD Aveyron, 48 J 7
( 134 ) Etudes historiques sur le Languedoc
( 135 ) H. Bosc, La guerre des Cévennes, p. 323 et suivantes
( 136 ) Alfred Andrieu, Camarès, 1000 ans d'histoire locale, p. 144/9