Céras et Malmérane
Comme signalé plus haut (se reporter à ce paragraphe), les titulaires de fiefs ont toujours eu tendance à signer ou à se faire appeler, plutôt que par leur patronyme courant, par le nom de leur possession. Dans les actes du registre consistorial, c'est le cas à l'occasion du baptême de Micheau de Rouve, où le parrain signe Mr de Séras ( sans doute Simon Mazars) et pareillement lors de trois autres baptêmes où la marraine est désignée une première fois : Malmérande épouse de Jean Ramond, puis Malmérane Margueritte du Pont et enfin Masméraine Margueritte du Pont ; une rature, en forme de rectificatif, sur la première mention révèle l'identité de cette marraine : il s'agit de Margueritte Boutes, dont on retrouvera mention de la famille à Castelnouvel quelques années plus tard .
Or précisément, au pied de Castelnouvel, se jette dans le Dourdou, un ruisseau qui s'est appelé initialement Balmeyrane, en raison de ses pertes et résurgences (balme = aven), puis Val-Meraina, puis Malmairane et actuellement Moumayranne (IGN 2542 ouest).Cette vallée, qui se déroule en arc de cercle sur environ 1700 mètres, est maintenant progressivement envahie par la friche, mais elle recèle encore de nombreux vestiges : un moulin devenu laiterie, un petit pont, un cimetière dont il ne reste que le porche d'entrée et le mur de soutènement, plusieurs vestiges de " jasses ", de " pesquiers ", de chaussées, de " clapasses " d'épierrage, tous signes d'une activité agricole prolongée.
Il y aurait eu à Val Mairana une transaction en faveur des Hospitaliers de Prugnes, portant sur les dîmes perçues sur quatre manses ( 102 ). Pendant longtemps, cette vallée, maintenant déserte, aurait donc été habitée et jugée apte à constituer une petite seigneurie, attribuée à la famille Boutes, demeurant au Pont de Camarès .
La Molline de Mélagues
Aux Archives Nationales est conservé un parchemin ( 103 ) détaillant une sentence arbitrale concernant le droit de faire du charbon de bois pour alimenter la Molline de Mélagues, enregistrée au Château de Fayet et commençant ainsi :
" Scaichent tous présents et advenir que l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur JC mil cinq cens soixante et dix et le 6ème jour du mois de Novembre, régnant excellent prince Charles, par la grâce de Dieu, Roi de France, au château de Fayet.....au diocèse de Vabres et Sénéchaussée de Rouergue, par devant moi notaire royal soussigné et en présence des témoins sous nommés comme fut débat et question entre les sindics du lieu de Méllagues et certains habitants du dit lieu et juridiction d'une part et haute et puissante dame Marguerite de la Tour, dame douairière de la baronnie de Brusque, de Méllagues, Tauriac et Arnac, vevfe à son puissant seigneur messire Pierre de Castelnau et Clermont, ........................ "Ce texte atteste le maintien d'une activité de forges à Mélagues, le mode de représentation de sa population par des sindics et la sauvegarde, après son veuvage, des droits de la Dame douairière de Brusque en 1570.
Trop long pour être reproduit intégralement, j'en ai extrait les patronymes suivants les plus lisibles : " Dardé Castanh, Jacques Blayac scindic, Pierre Vignes, pbr, Jehan Appolis du dit Mellagues, Gailhard et Pierre Baille, Armand Fouquet, Pierre et Fernand Guesses de la Lavanhe et Pierre Laurès dict Navarre de Cayourte, Gailhard et Ramond Pons de Bobes, Pierre et Philip Constant de Varensalz, Marquès Gueysse de Corbières, Gailhard et Pierre Gueysse de Mathet, Dardé Cot de Saint Pierre des Cats, faisant la plus grande et saine partie des habitans de St Pierre des Cats et de Mellagues, tant pour eux qu'autres habitans........ " ( 103 )
Une succession complexe
La seigneurie ou la cosseigneurie de Brusque, exercée par la famille de Corneillan, comme on a pu le voir (cf ci-dessus) vers 1553, était apparemment partagée, dans le même temps, par Gui II Guilhem de Clermont, dans des conditions qui restent inconnues.
A cette incertitude, s'en ajoute une autre, sur la date de la mort de Gui II, située tantôt le 29-6-1580, tantôt en 1581, ou même en 1589.
Son fils aîné : Alexandre, trop jeune pour gérer directement son domaine patrimonial, est au début sous la tutelle maternelle.Faute de disposer des actes originaux, je n'ai pu déterminer, si, à cette époque, la terre de Brusque constituait une cosseigneurie, c'est à dire un domaine où les droits étaient partagés entre deux ou plusieurs cosseigneurs, (justice , redevances, hommages) entre les Castelnau/Clermont et les Corneillan ,ou encore une autre forme de partage des droits féodaux.
La Maison d'Arpajon
Le 19 Juillet 1589, Jean V d'Arpajon avait épousé, contre la volonté de sa mère, fervente calviniste : Jacquette, la toute jeune sœur de notre seigneur Alexandre de Clermont ,dans la chapelle de Castelnau-Bretenoux.
La dot de Jacquette apportait au jeune couple,outre 50.000 livres, la jouissance des terres de Brusque et du château de Fayet.Mais c'est dans la maison de Guillaume de Masnau, que le conseil de la ville du Bourg (de Rodez) se réunit, en Décembre suivant, pour recevoir la déclaration d'abjuration de Jean d'Arpajon, faite en son nom par Mr de Bonal, juge de Naussac ( 104 )
Notre nouveau seigneur avait quatorze ans ! et assurait déjà la succession de son père, à la tête de la maison d'Arpajon-Sévérac.
Malgré son jeune âge, il fut nommé, par le roi Henri IV : le 58ème sénéchal et gouverneur du Rouergue de 1593 à 1596 ( 105 ).Un refuge huguenot
Dès les premiers troubles religieux, la ville close de Brusque est considérée comme une place de sureté et à l'abri de ses murs, plusieurs gentilshommes ont quitté leurs seigneuries isolées pour y trouver une résidence moins exposée.
C'est le cas de:
- Jean de Barrau, seigneur de Campoliès ( le Campouriez actuel)
- noble François d'Audric, sieur de Rouzairoux, qui rédige son testament à Brusque le 1er Septembre 1599 ;
- Hélie de Vernon, sieur del Cros
- noble Jean-Joseph Cathelan, sieur de Saint-Méen ;
- Jean de Thésan, sieur de Labiras et d'Anne de Thésan ;
- Catherine de Clermont ;
Les trois premiers ont adhéré sûrement très tôt à la Réforme ; pour les suivants, cela ne semble pas être le cas, mais, par contraste avec les régions voisines où de nombreuses églises ont été brûlées et plusieurs prêtres tués, notre communauté pouvait bien être considérée comme un lieu de coexistence pacifique des deux confessions.
L'église réformée de Brusque
Je n'ai pas retrouvé la date à laquelle a été dressée (selon l'expression consacrée), l'église réformée de Brusque, par contre il est avéré que ses fidèles étaient rattachés, à ses débuts, et représentés au consistoire du Pont de Camarès.
Ainsi, ce dernier, dans son compte-rendu de séance du 26 février 1595, mentionne : " Il sera escript à l'esglise de Brusque de ce qu'ilz tiennent un metre d escolle catholicque, comme est un escandalle et dérogance à la dicipline ecclésiastique " ( 106 ) contrairement à ce que les calvinistes du Pont, majoritaires au consulat de cette ville, avaient obtenu en installant un régent des écoles à leur convenance.Depuis son mariage en la chapelle du château de Castelnau-Bretenoux, qui le rendait seigneur de la baronnie de Brusque, et son abjuration officielle jusqu'à sa mort survenue en 1610, Jean V d'Arpajon ne semble pas être intervenu, ni avoir pesé de quelque façon, sur les options religieuses des brusquois
Il faut voir là, me semble-t-il, une marque de fidélité à la politique de neutralité bienveillante envers les huguenots, suivie au cours de son règne, par son souverain Henri IV et par voie de conséquence, de l'esprit de tolérance exceptionnel qui a régné dans le Brusquès, jusqu'à la révocation de l'Edit de Nantes.
Notes bibliographiques
( 102 ) Jacques Bousquet, Le Rouergue au Premier Moyen-Age, p. 800
( 103 ) Archives Nationales, Q1 71/77
( 104 ) Sté des Lettres, Sciences et Arts de l'Aveyron, tome 28 Bourg BB10
( 105 ) Henri Affre, Dictionnaire des institutions, moeurs et coutumes du Rouergue, p. 415
( 106 ) Bibliothèque de l'Arsenal, Manuscrit 6563/9