c'est toujours la nuit, habillée du ronflement des ventilateurs tropicaux - le mien doit avoir une pale déséquilibrée, il claque tchouc tchac - et la climatisation bloquée sur 17 degrés. les chambres d'hôtel sont les mêmes tout autour du monde, pleines d'employés obséquieux et de linge lavé à la demande pour respecter l'environnement. un balcon avec deux chaises, une baignoire et la télévision satellite (éteinte). sur le balcon d'en face, il y a deux indiennes qui font des signes et qui pouffent "are you talking to your girlfriend ?" et je réponds "yes", téléphone à la main en écoutant les bruits de la nuit.
les chambres d'hôtel toutes pareilles me rassurent. elles sont dénuées du stress nocturne de la maison.
les indiennes sont toujours là et nous parlons un peu des autres pays et de travail et des lieux autour pour aller danser, occupé que je suis à faire indéfiniment l'intéressant avec des grands sourires sous les yeux et une nonchalance absurde - "je suis complètement paumé", j'ai envie de dire.
évidemment je ne dis rien.
et je panique devant les regards appuyés et les mains qui voltigent et les rires, conscient de ne savoir rien faire d'autre que parler de moi-même alors que je voudrais peindre les rencontres des jours d'avant -
j'ai des choses à dire sur la femme de la rue du marché aux poissons qui a adoré nous voir rire et qui souriait tout le temps. elle a donné des épices à mon pote, préparées par sa fille, ou bien c'était sa sœur. on a fait un bout de chemin ensemble et je n'ai pas compris ce qu'elle faisait exactement, peut-être de la poésie quotidienne qui ne se raconte pas. je ne sais pas bien comment m'y prendre ni quoi raconter. je me souviens qu'elle était très bien habillée, du bleu, du jaune et des nuances.
et puis son beau-frère, un monsieur très drôle. il vend du faux cachemire dans la rue. les écharpes sont dans un grand sac plastique (le même qu'à ikea). j'ai beaucoup aimé son visage et je lui ai dit, je crois. mais maintenant je me rappelle seulement le tatouage de shiva entre son pouce et son index.

j'ai des morceaux de souvenirs

c'est toujours la nuit et la lumière bleue du téléphone me brûle les yeux pendant que je repense aux nuits précédentes, aux verres de rhum frelaté et à la fumée dans les poumons. j'en ai la tête qui tourne encore et les souvenirs s'effacent déjà.
c'est une lutte perdue d'avance. je mélange les heures et les gens
il y a eu cette bagarre à propos d'un pull. le garçon, très jeune, barbu, d'énormes sourcils, saignait du nez. et puis quoi d'autre ? à la fin, ils sont partis et on a mangé un truc épicé avec des frites. les deux serveurs ont voulu une photo avec moi et c'est assez drôle car j'ai oublié cette photo et les serveurs dessus et, deux nuits plus tard - ou trois - je suis dans cette boîte de nuit torse nu et je danse très mal quand un garçon frappe sur mon épaule avec insistance, me dit qu'on se connaît et me paye un verre de jager. je dis "who are you ? " et il me montre la photo sur son téléphone. son ami est là aussi. nous parlons un moment mais je suis fou et plein d'énergie donc je repars m'assomer devant les grandes enceintes. le DJ est bon, une pointure. il fait tourner un pétard de très mauvaise qualité (c'est le geste qui compte)
je suis quasiment sûr d'avoir pris un taxi à la fin - la boîte était en plein milieu de nulle part, sur une plage perdue. pour y aller, il faut emprunter un chemin de terre où on croise des ados en scooter sans phare. sur la plage, un couple fait cuire des poissons au barbecue et tout le monde mange à n'importe quelle heure. à côté, il y a un tatoueur ouvert 24h/24.
donc j'ai pris un taxi et le chauffeur nous a laissé passer notre musique. c'était très drôle. le trajet est passé vite.

je ne veux pas que le silence revienne. j'aime énormément le bruit du ventilateur et les voisins derrière le mur très fin.
en rentrant - il devait être cinq heures - fuyant le sommeil à la piscine de l'hôtel, nus et tellement européens, sautant dans l'eau jusqu'à ne plus remonter à cause de l'alcool et de la fatigue, accrochés au bord tout essoufflés, jetant des statuettes kitsch à l'eau en rigolant niaisement avec ce mec intéressant qui parle assez peu parce que c'est un rêveur (le genre à traîner seul dans les rues la nuit, à observer les fenêtres éclairées en imaginant mille scénarios).
à un moment, un employé nous a foutu dehors et nous voilà partis dans l'océan. l'eau est à plus de trente degrés. il n'y a personne jusqu'au lever du jour. quelques chiens errants qui me courent après en aboyant wou wou.
au large, les panamax mouillent paisiblement, ligne de flottaison haute en attendant leur cargaison de bout du monde.
je cherche toujours
un lien ou
une architecture