cette nuit il a plu très doucement
le son se confond vaguement avec celui de l'arrosage automatique en bas
sur la pelouse interdite où, aux dires de certains vieillards,
les enfants plantaient la tente à l'époque
quand je me lève
il est 5h50
comme à peu près chaque jour parce que je suis salarié
malgré quelques rêves et certaines illusions
j'enfile un pull à capuche et je marche 50 mètres jusqu'à la barrière de sécurité -
elle clignote en rouge nuit -
je pianote le code
9127A
dans la rue il y a les premiers pompiers et l'écho de la pluie nocturne
la routine consiste à marcher jusqu'à mon
véhicule
en comptant les pas
1, 2, trois, 4, etc
porte ouverte qui grince crrrrrrri
le bruissement du chauffage + musique
le moteur m'emmène jusqu'au lieu où je dois travailler - jusqu'à la porte, le digicode
1397A
jusqu'à l'ordinateur : prénom.nom
password :
qsdfghjklm,1
je lis des mails
j'écoute des musiques nouvelles
je lis des articles sur internet à propos de la déforestation
je tiens le compte précis des occasions manquées. des actes non réalisés qui sont restés en suspens dans ma tête comme des petites bulles prêtes à éclater. fragiles
des sourires crispés
des histoires
quelques formules de politesse
des sms le soir

j'ai perdu un max de temps à apprendre des tables de multiplication
zut
des coefficients de conductivité thermique
des
trucs
j'essaye très sincèrement de me remémorer les enthalpies
entropies
longueurs d'ondes
mais la cervelle convoque sans cesse des images sensorielles - de celles qui empêchent de dormir le soir -
les pavés qui défilent en motocyclette, la peur glissante de tomber par terre
dans un fracas de métal et de bagages
aussi le temps passé à regarder la nuit
le frottement des roues sur les rails sous le train vadrouilleur

et puis une autre nuit je suis réveillé à 3h46 tout écrasé dans l'oreiller mou
parce que l'équilibre des substances en cohabitation à l'intérieur de moi est rompu
quand ça arrive, j'essaye de profiter du silence
j'extrais mon corps flasque du sommeil et je tire le rideau et j'observe les vieux murs dehors
je lis des pages de livres et j'oublie ce que je lis en même temps et je replace le marque-page à son emplacement initial
je m'absorbe dans la lumière du téléphone
et puis j'attends discrètement la sonnerie du réveil

plus tard encore
dans un train plein de masques et d'annonces en langue étrangère
je regarde les familles qui s'adonnent à l'ennui bruyant du voyage
j'ai beaucoup d'amour pour trop de choses -
mon moment préféré
l'air frigorifiant du premier pied à terre
à la sortie du wagon