A conquête de la Numidie assura la domination des Romains en Afrique. La chute de Carthage leur avait donné l’empire des côtes; la défaite de Jugurtha leur ouvrit l’intérieur du pays. De vastes contrées, qui n’avaient jamais obéi aux Carthaginois, passèrent sous l’autorité de home; on peut même rapporter à cette époque l’établissement de cette longue chaîne de colonies européennes qui s’étendit en fort peu d’années depuis Tanger jusqu’à l’Égypte; le littoral ne fut plus, pour ainsi dire, qu’une seule colonie romaine; et là, comme dans tout l’Occident, l’élément national fut absorbé par l’élément latin avec une prodigieuse rapidité. Néanmoins, il resta toujours dans les vallées de l’Atlas et au midi de cette chaîne de montagnes, une masse considérable de nomades qui subissaient les lois de la civilisation sans jamais se laisser dompter par elle.

Si cette contrée, désolée par des siècles de barbarie, apparaît encore aujourd’hui si belle aux regards des voyageurs, qu’on juge de ce qu’elle dut être aux jours de Carthage et de Rome ! Sa fertilité, qui n’est surpassée peut-être dans aucune partie du globe, secondée par le génie industrieux des Carthaginois, produisait d’immenses richesses naturelles. Trois cents villes couvraient son sol; la seule Carthage avait renfermé dans ses murs sept cent mille habitants. Cette prospérité, qui nous paraîtrait fabuleuse si elle n’était attestée par tous les écrivains de ces époques reculées, s’accrut encore sous la domination romaine; car, avec cet admirable instinct d’assimilation qui leur faisait adopter tout ce qu’ils trouvaient de bon et d’utile chez les peuples soumis par leurs armes, les Romains suivirent, pour coloniser l’Afrique et y affermir leur puissance, le système que leur avaient indiqué les Carthaginois. Ils s’efforcèrent, comme l’avaient fait leurs rivaux, de lier, par le commerce et l’agriculture, leurs intérêts à ceux des indigènes, afin de les dominer et de les exploiter plus sûrement. C’est surtout à la production du blé qu’ils s’attachèrent avec le plus de persévérance et d’ardeur. Ils portèrent en Afrique leurs méthodes de culture et répandirent les lumières de leur vieille expérience sur l’industrie naissante des vaincus, desséchèrent les marais et les lacs, élevèrent des ponts, creusèrent des canaux, tracèrent des routes d’une solidité admirable. Ainsi aidée par le travail de l’homme, cette terre fit des prodiges, et devint le grenier de Rome. Sous Auguste, lorsque le luxe des grands, arrachant l’Italie aux bras qui la cultivaient, l’eut transformée en un immense jardin de plaisance semé de somptueux palais, la métropole demanda la moitié de sa subsistance aux moissons africaines, et chaque année le port de Carthage expédiait de quoi la nourrir pendant six mois au moins. Enfin, car telle est l’influence du travail sur les mœurs, sur le caractère des peuples, l’on vit une foule de tribus numides et gétules adopter la vie sédentaire des colons et préférer aux fatigues d’une existence nomade les paisibles travaux de l’agriculture. Les ravages, les rapines, les guerres de tribu à tribu cessèrent graduellement. Depuis Auguste jusqu’au premier Antonin, c’est-à-dire pendant l’espace de près de deux siècles, une seule légion suffit dans les temps ordinaires (et les exceptions furent rares), pour garder tout le pays compris depuis Tanger jusqu’à Cyrène, et pour y maintenir l’ordre et la paix. Plus tard, l’empire s’affaiblissant, chaque révolte de la colonie menaça Rome d’une disette; On suit, sous ce rapport, d’année en année, l’action de l’Afrique sur l’Italie. Ainsi, par exemple, on voit successivement l’empereur Sévère, repoussant les prétentions de Niger à la pourpre des Césars, envoyer à la hâte ses légions. à Carthage, afin que son compétiteur ne puisse pas s’en emparer et affamer la population de home; le préfet Symmaque s’opposer, dans le sénat, à l’expédition méditée contre le rebelle Gildon, de crainte que, les blés de l’Afrique cessant d’arriver, il n’en résulte au centre de l’empire une sédition dangereuse; enfin Alaric s’emparer du port d’Ostie, où les premiers Césars avaient fait bâtir d’immenses greniers destinés à recevoir les tributs en blé et en huile qu’envoyait la colonie africaine, et par cette conquête préluder à la prise de la capitale du monde.

Les guerres civiles allumées par les rivalités de Marius et de Sylla, de César et de Pompée, vinrent à leur tour diviser l’Afrique. La fondation, sur divers points du sol, de petites colonies romaines et de municipes avait donné naissance à une population qui, à l’époque dont nous parlons, prit une part active à la lutte; les rois indigènes eux-mêmes, selon leurs engagements antérieurs ou leurs affections particulières, s’y mêlèrent avec ardeur. Ce fut durant les vicissitudes de cette longue guerre, que Marius fugitif vint chercher un asile sur cette terre témoin de ses premiers triomphes. Débarqué non loin de Carthage, il s’était arrêté au milieu de ces ruines, les contemplant sans doute avec un secret retour sur lui-même, lorsque le gouverneur de la province, le préteur Sextilius, craignant d’être compromis par la présence de l’illustre proscrit, lui fit notifier l’ordre de s’éloigner sans délai, sous peine d’être traité en ennemi du sénat et du peuple romain. « Va dire à ton maître, répondit au licteur le vainqueur des Cimbres et des Teutons; va dire à ton maître que tu as vu Marius assis sur les ruines de Carthage ! »

Tandis que Marius donnait au monde cet éclatant exemple de l’instabilité des plus hautes fortunes, son fils, avec quelques-uns de ses partisans, descendu sur un autre point des côtes d’Afrique, avait trouvé un asile à la cour d’Hiempsal, roi de Numidie. D’abord traités favorablement, ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que leur hôte les considérait moins comme des alliés que comme des otages que la fortune venait de jeter entre ses mains. Pour se concilier l’amitié de Sylla, il se disposait même à les lui livrer lorsqu’une des concubines du roi, avec laquelle le jeune Marius avait lié des rapports intimes, vint à la fois leur apprendre le danger qu’ils couraient et leur offrir les moyens de s’y soustraire. Le fils rejoignit son père encore errant sur le rivage, où ils se virent abandonnés de tous leurs partisans. Alors, ne prenant conseil que de leur désespoir, ils résolurent de tenter de nouveau le sort des armes, et se rembarquèrent pour l’Italie. Leur audace fut couronnée d’un plein succès: Marius mourut maître de Rome !